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Le 6 septembre, alors qu’il se trouvait dans un bus reliant Dar es-Salaam, la capitale économique, à Tanga, Ali Mohamed Kibao, l’un des membres du secrétariat national du Parti de la démocratie et du développement (ou Chadema, pour Chama cha Demokrasia na Maendeleo, en swahili), parti d’opposition, a été kidnappé par deux hommes armés. Son corps a été retrouvé sans vie dans la périphérie de Dar es-Salaam, deux jours plus tard. Selon l’autopsie, l’homme de 69 ans avait été roué de coups et son visage aspergé d’acide. Son assassinat a créé une onde de choc en Tanzanie, poussant la présidente, Samia Suluhu Hassan, à réagir, le 8 septembre, sur le réseau social X : « J’ai demandé un rapport détaillé sur cet événement tragique et d’autres du même genre. Notre pays est démocratique et chaque citoyen a le droit de vivre. Le gouvernement que je dirige ne tolère pas de tels actes de cruauté. »
Comme l’a reconnu la présidente, d’autres meurtres, enlèvements ou disparitions inexpliquées ont eu lieu ces derniers mois, suscitant de nombreuses critiques contre l’inaction des autorités. En juin, Edgar Mwakabela a été laissé pour mort dans le parc national de Katavi, dans l’ouest de la Tanzanie. Interviewé par les médias lors de sa convalescence à l’hôpital, l’homme de 27 ans avait affirmé avoir été enlevé puis conduit à un poste de police. Il aurait ensuite été transporté à 2 000 kilomètres de Dar es-Salaam avant qu’on lui tire une balle dans la tête. Celle-ci n’a finalement provoqué qu’une fracture de la mâchoire.
L’enquête sur son enlèvement n’a pour l’heure rien donné. D’autres disparitions, pour lesquelles les victimes ne sont jamais réapparues, n’ont pas non plus été élucidées. Selon la coalition tanzanienne des défenseurs des droits de l’homme, deux cents personnes ont été portées disparues ou kidnappées entre 2016 et 2024. Dans le cas d’Ali Mohamed Kibao, l’opposition désigne le gouvernement comme le commanditaire du meurtre. « D’après nos informations et les preuves que nous avons collectées, les services de renseignement sont impliqués dans l’enlèvement d’Ali. Voilà pourquoi nous exigeons une enquête indépendante sur cette affaire, explique John Mrema, le porte-parole du Chadema. Nous ne sommes pas en sécurité. Nous communiquons constamment entre nous sur nos mouvements et les personnes avec qui nous sommes. Les autorités veulent susciter la peur avant les élections. »
Des élections locales son, en effet, prévues en novembre, puis la présidentielle à la fin de 2025. Dans les rues de Dar es-Salaam, d’imposants panneaux à l’effigie de la présidente prônent déjà la « continuité avec Mama Samia », issue du Chama cha Mapinduzi (CCM, Parti de la révolution), le parti au pouvoir depuis l’indépendance du pays, en 1961. Contrairement à son prédécesseur, John Magufuli, Samia Suluhu Hassan a tendu la main à l’opposition au début de son mandat, en 2021, promettant une politique basées sur les « 4R » : réconciliation, résilience, réformes et reconstruction.
Selon ses opposants, ses promesses n’ont pas été tenues. En août, le Chadema avait prévu une manifestation dans la ville de Mbeya, dans le sud-ouest du pays. Avant même qu’ils aient pu se réunir, plus de cinq cents de ses sympathisants ont été arrêtés. Tous ont été libérés quelques jours plus tard, mais certains ont été hospitalisés après avoir été brutalisés durant leur détention.
Selon certains observateurs, les autorités tanzaniennes se méfient d’émeutes similaires à celles qui ont agité le Kenya, en juin. Rose Omuga, du Centre juridique et des droits de l’homme, une ONG tanzanienne, rappelle que les disparitions ou les arrestations ont souvent tendance à augmenter à l’approche des élections. « Ces problèmes persistants montrent les échecs et faiblesses des autorités chargées de la sécurité publique », estime-t-elle. Toutefois, « l’augmentation de ces disparitions peut être attribuée à différents facteurs, comme les rivalités politiques, les croyances locales en la sorcellerie ou des vendettas plus personnelles », ajoute-t-elle.
L’assassinat d’Ali Mohamed Kibao a été condamné par plusieurs chancelleries étrangères. Les ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou encore de l’Union européenne ont ainsi estimé que les récents événements étaient « une menace pour les valeurs démocratiques et les droits des Tanzaniens ». Le Chadema, lui, a donné un ultimatum au gouvernement : si, d’ici au 21 septembre, toutes les personnes disparues ne sont pas libérées ou leurs corps restitués, « chaque quartier et chaque rue de Dar es-Salaam se soulèveront ».
Elodie Goulesque (Dar es-Salaam, correspondance)
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